La Maison de l’Homme dans un monde inachevé – Armand Julien Waisfisch
« La maison de l’homme dans un monde inachevé »
Exposition d’Armand Julien Waisfisch
du 15 au 30 avril 2016 – vernissage le vendredi 15 dès 18h. Entrée libre tous les jours lundi excepté de 15h à 19h.
Cette série de tableaux d’Armand julien Waisfisch prolonge le travail entrepris dans les deux séries précédentes, « le temps de la mémoire » et « des hommes et des valises » qui évoquaient toutes deux l’errance, le nomadisme de l’exil d’un côté et de l’autre, l’ancrage, l’enracinement dans la mémoire. Des humains, adultes et enfants, seuls ou en groupe s’apprêtent à franchir une porte. Ils ne sont rien d’autre que des êtres qui passent, des êtres de passage, saisis sur le seuil qui sépare l’installation dans une demeure où l’un trouve abri et sécurité, de la recherche d’une place plus ou moins habitable dans le monde.
La peinture se pose sur ce seuil ou cette limite, elle se fait exploration perspicace et sensible de l’espace habitable à travers une série de tableaux, de reprises à travers quelques paramètres : le cadrage spatial, l’espace de la porte à franchir, le seuil, les marches, le sol et ses pavages, les murs qui laissent apparaître les matériaux de construction, des couches de peinture, mais aussi des escaliers et des échelles, des paysages. L’espace géométrique est clairement délimité, tellement bordé qu’il induit infailliblement que quelque chose peut le déborder ou le pousser dans ses dernières limites ; Le jeu des couleurs : du noir et du blanc, l’une étant le négatif de l’autre, beaucoup de gris en couches délavées et d’autres couleurs utilisées avec beaucoup de parcimonie, du jaune ou du rouge, sans doute avec une charge symbolique intense. Des personnages très stylisés, à la limite de l’informe, fortement étirés en longueur, avec des allures de spectres, émergeant d’un fond noir intense, très obscur et lumineux en même temps. La matière du tableau : des feuilles de papier kraft, des feuillets parfois décalés, un support très léger donc, accroché uniquement par le haut, libre par le bas .Quelque chose comme une tenture pour une porte, que l’on peut aussi enrouler facilement pour l’emporter, une peinture pour des êtres constamment en transit, de passage ?Armand julien n’hésite pas à dire « nomade » !
Passages
De tableau en tableau la même scène se reproduit, se renouvelle de manière inquiète, comme si le cadrage n’avait pas cerné l’entrée ou la sortie des personnages, l’événement inaugural, l’annonce et l’occurrence d’une vérité essentielle, d’un point nodal sur la maison de l’homme, sur le sens que prend « habiter sur terre » à l’heure de l’exil et de l’immigration. Le thème revient, en faisant entendre les harmoniques du « passage », en répercutant tous ses échos, jamais bien entendus et qui reviennent inlassablement pour forcer les portes de la perception ou de la conscience..Des êtres quittent un monde, sortent pour entrer dans un autre monde, ou tout simplement le monde, où nous croyons être entrés depuis notre naissance.
La porte est étroite et le passage difficile, le seuil n’est pas toujours aisé à franchir. Cherchant la demeure, l’homme ne fait que passer, que cheminer d’un point à un autre au risque de tomber dans l’impasse.
Ici, dans ces oeuvres, aucun chemin ne se dessine devant ces figures nomades. Passer, c’est se frayer un passage quand il n’y en a pas, inventer un nouveau lieu de pensée ou d’action pour un bref séjour, qui risque de se refermer aussitôt ouvert, donc toujours à frayer ou à tracer. Le peintre et l’explorateur découvrent des passages en ce sens.
L’artiste s’est installé en observateur patient et méditatif devant cette porte et le flux des personnages, comme a pu le faire Bill Viola en plantant sa caméra pour enregistrer le fait brut de la procession des passants dans un lieu donné, avec probablement un sentiment de malaise et d’étrangeté post baudelairienne devant ces espaces de passage. Il demeure fasciné par la porte, qui est déjà un cadre pictural, un peu à la manière de Rothko lorsqu’il peignait les intérieurs du métro dont les portes s’ouvrent sur des passagers de toutes sortes, sans traits distinctifs ni modelé, sans identité, des signes fantomatiques qui donnent une présence envoûtante à un espace sans profondeur.
Théâtre
Au centre de chaque tableau, le cadre de la porte délimite un rectangle noir, intense et lumineux, qui diffuse sur toute la scène une lumière noire. Celle ci donne à l’obscurité un autre pouvoir d’éclairer, de pénétrer l’invisible. Elle suggère qu’avec notre volonté d’y voir clair à tout prix et de ne pas réaliser que la lumière diurne n’éclaire que des apparences trompeuses, nous passons à côté de l’essentiel. « il faut savoir rester blotti dans l’obscur et l’inconscient » dit l’artiste, «regarder en gardant l’obscurité tout contre soi » pour laisser à la matière et aux choses le temps de se saisir de la lumière pour la restituer. Il réduit les ouvertures, rend la fenêtre plus étroite, abaisse le linteau de la porte…
Dans le prisme de cet éclairage les personnages s’irréalisent, prennent des allures fantomatiques et spectrales pour retrouver une nouvelle matérialité. Ils n’ont plus de traits caractéristiques, plus d’identité .A la taille on peut reconnaitre des enfants et des adultes, les différences sexuelles sont peu marquées. Les silhouettes sont considérablement étirées dans le sens vertical. Un traitement voisin de celui que Giacometti imposait à ses sculptures : un corps vivant et en marche n’a pas de poids, il faut donc alléger, vider les personnages de leur substance matérielle pour n’en garder que l’essentiel : leur force de vie ou leur force d’âme, la volonté de trouver le passage et de « passer » tout simplement.
La lumière noire se diffuse sur les murs en strates de blancs et de gris animées de mouvements ; Elles évoquent les éléments : nuages et ciels, cascades et eaux stagnantes, rochers et falaises, mais éclairent aussi des paysages, vraisemblablement liés à ces êtres de passage, et des instruments d’élévation, échelles ou escaliers. Des pointes de rouge suggèrent le mystère d’une intervention invisible.
Cette mise en scène si cadrée et si géométrisée, déréalisée (Armand Julien dit explicitement tout ce qu’il doit à Kantor) se déroule dans un monde virtuel, dans un monde de rêve et de limbes, ou mieux dans un monde du « déjà vu »,un monde lui aussi au seuil de la conscience, celui qui n’existe que dans le point infinitésimal de la décision de commencer, de se mettre en chemin, de la coupure ou séparation entre un avant et un après :la ligne de départ du passage, sur le seuil de la porte, quand il n y a plus ni passé, ni futur, quand la vision est bordée en arrière par des spectres et des revenants, et en avant par des présages, des avertissements.
Partout sur cette terre les humains sont « de passage », ils apportent à un monde sans cesse vieillissant la nouveauté dont il a bien besoin pour se régénérer (Hannah Arendt).Tous les nouveaux nés et nouveaux venus rêvent de faire triompher cette promesse de la nouveauté, au risque d’épouvantables catastrophes. Tous franchissent le seuil pour réaliser cette aspiration immémoriale à la transformation de la terre qui les transforme à son tour en leur fournissant une nouvelle habitation. Cette série de 30 peintures d’Armand Julien Waisfisch constituent un espace de silence dans l’agitation des villes et un lieu pour se recueillir face à cette question de la migration. Il travaille avec rapidité et légèreté, en créant un ordre intérieur bien délimité, mais avec un mouvement d’illimitation, jouant de l’ambiguïté du seuil, à la fois « la limite » et « à la limite » : être chez soi dans le monde, et au fond apatride et étranger !
Georges Quidet/ HCE galerie.
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page de l’artiste : https://www.facebook.com/armandjulien.waisfisch