Côté culture. « Undress me my little Buddha », De l’identité et des outre-mondes, une exposition à l’Adada. Et quelques dates d’événements à venir.
Une exposition dont le vernissage a eu lieu le 12 septembre s’est ouverte à l’Adada, au 60 rue Gabriel Péri. Elle se poursuit jusqu’au 5 octobre sous un nom étrange : Undress me my little Buddha. Une exposition qui dans sa version intégrale et itinérante en passant par Séoul, Mexico, Thürkow en Allemagne et Saint-Denis a réuni 28 artistes.
Parmi eux des artistes dionysiens qui ont déjà exposé leurs travaux, et pour certains de longue date, puisqu’on y reconnait les noms, le travail, les créations souvent parallèles ou complices de Silvia Minni, Mira Baek, Saraswati Gramich, Marc Guillermin et Caroline Culcasi.
Si le nom de l’exposition qui vient de s’ouvrir à l’Adada reste énigmatique un thème est affiché : celui de l’identité.
Les travaux présentés ont déjà l’intérêt de faire preuve d’une grande cohérence dans les choix opérés. La diversité des formes d’expression, peinture, collage, photographie, sculpture, gravure, projections video vient confirmer la difficulté de rendre compte de cette notion sans la conjuguer au pluriel.le.s.
Des identités qui nous sont ici proposées, mais -pourraient-ils en être autrement – sont mouvantes, troubles, indécises, mutantes, réflexives jusqu’à l’informe. Aucune ne semble pouvoir s’arrêter, se fixer dans le temps ou dans l’espace.
Qu’il s’agisse d’un diptyque photographique de Sivia Minni, ou d’une photographie de Mira Baek, on reste suspendu à la vibration, à l’oscillation des corps de deux personnages – dédoublement – qui se frôlent, s’accostent, se juxtaposent pour l’une ; pour l’autre un imperceptible mouvement d’expansion microscopique de la moisissure qui dévore, englouti un crâne humain force le regard. On ne se baigne jamais dans la même eau d’un fleuve et ce qu’on vient de voir n’est déjà plus là. C’est déjà une autre chose. Indéfinie et en expansion.
Les travaux présentés, il y a quelques mois par Silvia Minni et Mira Baekrecélaient déjà ces éléments de tension, entre une impossibilité de faire le point – photographique – un arrêt sur image pour Silvia Minni et le temps long de la décomposition dans la série « As-tu mangé du riz ? » Bab meog-eoss-eo ? Comme se le disent les Coréens et qui correspond à notre « Comment ça va ? » réalisée par Mira Baek entre le 19 novembre 2020 au 6 décembre 2020. Du 19-11-2020 au 6-12-2020, l’Europe entière, en pause, se reconfinait au temps du Covid.
Leurs travaux avaient donné lieu en mai 2022, lors de l’exposition intitulée « In continuum » à deux très beaux textes de présentation signés de Tristan Félix, artiste elle-même. Elle y pointait des photographies pour lesquelles il fallait s’interroger. S’agissaient-ils « d’automutilations, d’hallucinations protectrices, voire cathartiques ? ». L’essentiel étant « d’en percevoir la texture évanescente, recouverte d’une pellicule troublante et troublée ».
Entre identités troubles et trouble d’identité ? Leurs parcours qui s’appuient sur une production plastique très cohérente se poursuit.
Dans un autre tout autre registre, on retrouve dans cette exposition le lumineux et vibratoire travail de Sarawasti Gramich.
Si les corps – ou ce qu’il en reste – sont omniprésents chez Sivia Minni et Mira Baek, on les quitte pour un autre monde, pré-organique.
Un monde fait de nébuleuses, de rhizomes, de spirales, de cellules quelque fois gémellaires, d’excroissances, mutantes, virales (n’est ce pas une réminiscence là encore de l’image d’un virus planétaire qui revient hanter la plus grande toile exposée) qui viennent se frotter l’une à l’autre, planètes errantes qui s’attirent, se repoussent et structurent le tableau par attraction ou soustraction chromatique. Des mondes en formation, indéterminés, là aussi pas de point fixe, quelques repères étoilés, un mouvement sans fin. Les lois de la physique en peinture.
Nous sommes dans une constellation. Joan Mirò et ses Constellations sont ici convoqués avec réussite.
Disons le au risque d’un vocabulaire qui paraîtra suranné dans l’art contemporain, c’est beau. Une beauté en mouvement, un monde sans clôture à l’image de notre univers en expansion.
On parle aujourd’hui d’un retour de la peinture.
Certain.e.s ne l’ont jamais quittée. Sarawasti Gramich semble bien de celles-la même si elle n’a pas boudé installations et sculptures dans lesquelles on retrouve les signes et lignes de forces de son univers singulier, où s’affirme une forme de vitalisme de l’énergie et de la couleur.
A l’occasion de cette exposition aussi, une belle découverte, le travail d’une artiste japonaise installée à Berlin.
Là aussi rien n’est fixe. Des paysages de fantaisies où la botanique est reine. Seul un fil rouge, ténu, relie ces apparitions, ces mirages qui évoquent des herbiers imaginaires. Comme une tentative d’emprisonner le temps de la nature entre deux pages. De fixer ce qui risque de s’effriter au cours des saisons. Quelquefois, un paysage semble en masquer un autre, des trouées laissent apparaitre un bestiaire fantastique. On a envie de saisir une loupe, pour venir scruter ce qui se cache dans cet au-delà.
Un tête humaine surgit ici dans des mondes d’où il semble avoir disparu ou s’en être expulsé lui-même. Un plan semble en supplanter un autre à l’image d’un glissement de terrain. Un fil le retient. Dans un autre paysage c’est l’image d’un arbre – en forme d’espalier – qui semble porter comme fruits des petites historiettes à découvrir comme les délivrerait fur et à mesure un arbre généalogique.
Un monde fait de sous-texte invisibles, de repentirs esquissés, dessinés, escamotés qui n’existent que dans notre imagination. Où sommes-nous ? Sommes nous dans ce monde ? Est-on de ce monde ? Ces mondes fragiles existent-ils ? Ne sommes nous pas ceux qui les détruisent ? Nous détruisant nous mêmes.
Ces paysages ne relèvent pas du genre fantastiques, ils sont juste l’incarnation de la fragilité de notre monde.
L’artiste se nomme Setsuko Fukushima. On le sait peu, Fukushima veut dire « île bénie » en japonais. La catastrophe de « l’île bénie ».
Un de ces compatriotes, d’origine japonaise vivant en France, qui ne fait pas partie de l’exposition a, il y a près de trente ans en 1995, réalisé une très sensible série à propos cette fois-ci d’une catastrophe, inaugurant l’entrée dans un « autre monde », délibérément provoquée par l’homme, 50 ans plus tôt, à Hiroshima.
C’est en quelques secondes l’effacement de centaines de milliers d’identités. Les gravures de Mitsuo Shiraishi en sont le témoin. Ne subsistent que l’absence, la disparition, les dernières traces d’une frêle activité humaine.
On vous laisse découvrir les autres artistes sans plus de mots. C’est jusqu’au 5 octobre à l’Adada, au 60 rue Gabriel Péri.
A l’Adada dans le cadre de l’exposition
Le samedi 21 septembre, un live set de Dolina, electro-pop à 19h30
Le mercredi 2 octobre, un atelier en regard de l’exposition de 14h à 16 h
Visite guidée de 16h30 à 18h30
Le 5 octobre, Finissage Hors les murs au cinéma L’Ecran de 18h à 20h avec les collectifs parisiens Microrama + Tohu-Bohu, performance sonore visuelle (entrée gratuite)
L’œuvre illustrant le titre de l’article intitulée Face to Face est de Mira Baek.