Jean-Nicolas Reinert
Jean-Nicolas REINERT
22 septembre – 6 octobre
mardi-mercredi 15h -20h
du vendredi au dimanche, 15h-20h
Fermeture lundi et jeudi
Vernissage le 22 septembre à partir de 18 h.
Des sculptures de terre cuite, visages humains triturés, déformés, aux mains immenses et remarquables…
Jean-Nicolas Reinert. La main parle, encore…
Par Baptiste Brun, maître de conférences en histoire de l’art contemporain et spécialiste de l’Art Brut.
S’il était une fois, ce serait celle d’un souvenir de Jean-Nicolas Reinert, un épisode de jeunesse. Son grand-père en est le principal protagoniste. Cet homme d’une certaine prestance, sévère et doux, tenait un magasin de cycles. Un jour, les supermarchés Leclerc établirent une antenne vélocipédique non loin de son atelier. Le coup fut rude. Avant même d’en sentir les conséquences, le grand-père savait de quoi il en retournait. À table, évoquant ce qui n’était rien moins qu’une dépossession aveuglément orchestrée par la macro-entreprise, l’homme avait eu un geste de colère. Le petit Reinert était là. La discussion entre grandes-personnes l’avait marqué. Bien plus que le sens de celle-ci, trop obscur encore, c’est l’attitude corporelle du patriarche qui imprima sa mémoire. Près de trente ans après, celle-ci a resurgi dans un des personnages en terre qui compose la tribu Reinert. C’est un large buste surmonté d’une tête aux sourcils froncés, les bras repliés ramenés contre la poitrine, les poings serrés, la bouche tordue : une figure d’autorité, hiératique, coléreuse. Le sculpteur a baptisé cette image du grand-père : Thor –, comme pour souligner la force inhérente à ce souvenir constitutif d’une mythologie personnelle.
À mon sens cette histoire, qui a tout du récit fondateur, est emblématique de l’ensemble du travail de Jean-Nicolas Reinert, sculpteur. Elle résume à elle seule ce procès de lente maturation, cette forme de décantation du regard étendue dans le temps qui s’accomplit au plus profond de son être. Les œuvres en terre ne relèvent d’aucun dessein préalable. S’il modèle ses figures, parfois les émaille avant de les cuire, ce n’est qu’après les avoir sorties du four qu’il les nomme. Et si l’allusion mythologique au dieu terrible Thor relève de l’exception, les prénoms qui désignent telle ou telle sculpture sont ceux du commun. Du commun de l’artiste devrait-on dire. Doudou, Armand, Niki ou encore Amélie sont ces proches parfois lointains dont le souvenir émerge lorsque Reinert contemple ses œuvres alors presque achevées. Le geste esquissé, l’attitude prêtée sont interprétés au prisme d’une mémoire en sommeil qui tout à coup s’éveille. Ce sont tout autant de moments de regard qui se trouvent tout à coup révélés. Et le nom finit par réaliser l’œuvre. C’est cette intime relation entre mémoire visuelle et création qui fait de Jean-Nicolas Reinert un artiste expressionniste. Une dialectique du temps qui passe et de l’ouvrage en somme, où l’artiste est le médiateur de ce qui se joue en lui. Il me confiait un jour : « Mes personnages sont autant d’états d’âme, transcrits dans la terre, de ce qui se passe dans ma vie ». C’est le rapport à l’autre qui s’incarne ici et de ce que l’autre provoque en soi. Saisi par un regard furtif et inconscient, il suscite l’activation toute subjective des fluides et influx d’un corps qui, par cette interaction, se retrouve sens dessus dessous.Au-delà des personnages évoqués dans les titres de ses œuvres, ce sont les émotions qui sont avant toute chose le sujet même de ses sculptures. Les sentiments et passions humaines – peur, tristesse, joie, colère, jalousie, etc – se donnent à voir. Les déformations à l’œuvre dans ces céramiques sont les témoins de cette agitation interne qui anime l’homme : « J’aime beaucoup les ventres, dit-il, tu sens que ça travaille. » Allusion directe à une sensibilité qu’il est nécessaire pour lui d’exprimer ; le ventre est le lieu du ressenti. Par ailleurs, ventres et têtes sont étroitement, organiquement liées dans son travail. Bien souvent des premiers, compacts et légèrement bombés, émergent directement les secondes, massives, sans même que n’apparaissent l’entremise d’un cou. Cette tête « primordiale » dit-il, est ce qu’il « travaille le plus » dans ses œuvres peut-être parce c’est par elle qu’advient le premier contact. On l’aura compris, l’œuvre de Reinert est une œuvre du corps.
Ce portrait du travail de Reinert, aussi bref soit-il, serait cruellement incomplet si je ne prenais le temps d’évoquer les mains de ses personnages. Tous les exhibent. Mains noueuses, caleuses, grossières, fines, ouvertes ou fermées, aux doigts courts ou longs, filiformes ou boudinés : mains bavardes avant tout. Plus encore que le ventre ou la tête, elles retiennent son attention parce qu’elles disent plus qu’on ne leur prête habituellement. Elles sont tout autant de portraits. Il est à noter qu’il est un principe d’identité qui, du modelage à l’œuvre finie, signifie toute l’importance que la main revêt pour le sculpteur. Une déformation qui m’est propre m’engage à penser à Dubuffet, son travail et ses écrits lorsque je regarde les œuvres de Reinert. La main est de toute évidence l’outil premier de la mise en œuvre, l’instrument d’une jubilation du faire. Elle est l’instance d’une conduction qui anime la matière et par laquelle je peux, en tant que regardeur de l’œuvre, re-agir la matière comme si j’étais moi-aussi à l’ouvrage. Reinert parle d’ailleurs du modelage comme d’un moment de vie ambigu, celui tout à la fois d’un combat et d’une longue jouissance. Ici le travail avec la terre conjugue les contraires : creuser et combler, faire et défaire, énervement et patience. Ses mains sont essentielles à ce qu’il nomme une « pratique comme dépassement ». Et moi de sentir cela, d’en être imprégné à mon tour par le regard. La main parle, encore.
Baptiste Brun
Pour la première exposition personnelle de Jean-Nicolas Reinert au 60 Adada, la scénographie est conçue avec la complicité du sculpteur Nicolas Cesbron, qui imagine des socles à partir de bouteilles de gaz. Par une association d’idées qui tient du jeu de mots : « Ses personnages sont … « gazés ! »